Je suis chez mon médecin addictologue, on parle de ma situation de vie et il me demande :
“Mais, monsieur, est-ce que vous avez des personnes autour de vous pour vous soulager de toutes ses responsabilités et de vos enfants ?”.
Je lui réponds du tac au tac, sans réfléchir, juste un peu taquin
“Mais je ne veux pas en être soulager, je veux les aimer et les vivre ces responsabilités !”
Quand je suis retourné chez moi, j’ai repensé à notre échange et me suis dit “Y’a quelque chose à creuser là”.
J’ai repensé à ma rencontre avec la communauté 360, la plateforme de répit, le dispositif d’Assistance au projet de vie, aux institutions médico-social, … la question du répit et de nos besoins, toujours cette demande – légitime – qu’on les définisse. Mais comment faire quand on est épuisé pour réfléchir ses besoins réels ? De là est né le texte qui suit. Il touche a ma situation, mais peut parler à d’autres. Il est une invitation à la réflexion.
Que tu sois éduc à l’ASE, psy dans un foyer, « simple » parent, parent seul ou accompagner, d’un ou plusieurs enfants handicapés, ministre, d’abord et en préalable à tout, parlons-nous à armes égales. Depuis cet endroit nu où l’on sait que nos vies sont aussi fragiles qu’uniques. Prenons assez de hauteur pour être à égalité dans le doute. Toi, avec ton rôle, moi avec le mien, souvent nous en tenons plusieurs, mais tous les deux pris dans cette même machinerie qu’est la vie et nos sociétés. Ici, plus de pro d’un côté, de parent, d’handicapé de l’autre. Juste deux humains qui tentent de comprendre comment continuer à avancer sans perdre ce qui les rend vivants.
On m’a souvent tendu le répit comme on tend un verre d’eau à quelqu’un qui se noie. Et j’ai bu. Mais la mer ne s’est jamais calmée. Parfois même, elle était plus agitée à mon retour, comme si la parenthèse avait juste servi à mesurer l’ampleur de la tempête. Ce qu’on appelle “répit” est souvent un sas sans lendemain. On me donne du temps, mais pas les moyens d’en faire quelque chose qui transforme ma réalité. On plaque sur moi ce qui marche pour d’autres, comme si mon quotidien pouvait se résoudre à un copier-coller de solutions toutes faites de l’ordinaire sociale alors que je vis dans un « extra ordinaire » sociale.
Mes besoins sont simples, mais exigeants. Retrouver de l’autodétermination : ne pas être condamné à suivre un chemin tracé pour moi et mes enfants par d’autres. Retrouver un sentiment de compétence : sentir que j’ai encore prise sur les choses, que je peux aider mes enfants à grandir, à s’apaiser, à apprendre. Retrouver de la proximité sociale : pas seulement des rendez-vous, des comptes-rendus et des formulaires, mais de vrais liens qui tiennent chaud. Des liens choisis, nourris, qui ne soient pas seulement administratifs ou utilitaires.
Le handicap ronge tout cela. Il t’arrache des morceaux de contrôle, il t’isole, il use jusqu’aux os. Il m’arrive de passer 25 % de ma vie dans une voiture ou une salle d’attente, le reste pris dans un enchevêtrement de contraintes où chaque “temps libéré” par le handicap de l’un est avalé par les obligations liées au handicap – ou une obligation plus ordinaire – d’un autre. Le répit, s’il n’est pas pensé autrement, ne fait qu’ajouter un étage à ce mille-feuille d’épuisement.
Aider vraiment, ce n’est pas m’offrir 1 journée loin de chez moi ou prendre mon enfant pour une journée et cocher la case “souffler”. C’est m’alléger radicalement la charge administrative, jusqu’à ce qu’elle cesse d’être une punition quotidienne. C’est coordonner les plannings pour que le temps libre ne soit pas aussitôt repris par une autre contrainte. C’est me donner des outils pour mieux faire ce travail invisible et vital : apaiser, accompagner, maintenir un cap. C’est me rendre la main sur mon organisation, mes ressources, mes choix.
Un répit qui libère ne me fait pas simplement sortir de ma vie pour quelques heures : il me redonne prise sur elle. Il n’est pas une parenthèse, il est une charnière. Et un aidant qui retrouve le contrôle, la compétence et des liens sociaux solides respire autrement. C’est ce souffle-là qui change tout.
Alors oui, un répit peut être utile ( et oui ! On en a vraiment besoin bordel !!!!!). Mais il faut qu’il soit conçu comme un tremplin, pas comme un sas de décompression. Seulement s’il redonne du pouvoir d’agir au lieu de le suspendre. Car un aidant soutenu dans son contrôle, ses compétences et ses liens sociaux vivra différemment. Et c’est cette vie, profonde, ancrée, qui transformera son épuisement en force.
On ne doit pas “donner” du répit comme une oeuvre de bienfaisance, mais “accompagner” au répit comme une oeuvre d’éducation partagée et populaire.
Et toi qui lis ces lignes – que tu sois aidant, professionnel ou les deux à la fois – pose-toi cette question : qu’est-ce qui t’épuise vraiment ? Qu’est-ce qui, si c’était mieux pensé, te rendrait de l’air chaque jour ? Quelles compétences voudrais-tu nourrir pour toi et pour les autres ? Qu’est-ce qui te permet de, parfois, être à la fois le vent et l’air que tu respires ?
Mettre en commun nos réponses à ces questions et en discuter serait là une opportunité pour que le répit cesse d’être un piège poli et devienne un tremplin vers un véritable souffle de vie avec des espoirs et des rêves.
« Malgré la tempête, nous apprenons à danser sous la pluie »